mercredi 28 août 2013

Il y a cent ans, le dossier Henriette.

Episode I - Premières escarmouches.

Voici, à travers des correspondances de l'époque, un témoignage sur la culture, des mœurs et de l'état d'esprit qui régnait au temps de la première guerre mondiale.

Rumeurs et cabales ne sont pas spécifiques à notre siècle. Voyons un peu ce que certains de ses parents, amis ou voisins reprochaient à ma grand-mère maternelle et ce que l'on peut en dire.

- des "visites masculines" pendant que son mari était au front.  Trop vague et insinuant pour être commenté.

- la charge ci-dessus dissimulait mal une insinuation implicite : Henriette devait forcément tromper son mari...qui finira d'ailleurs, un temps, par en être convaincu. Très certainement faux.

- la présence de ses deux sœurs au domicile conjugal. Probablement vrai.

- la prise de pouvoir par la plus jeune d'entre elle sur le foyer et sur les affaires.Sans doute vrai mais exagéré.

- des sentiments d'hostilité contre Ernest, le frère de son mari et son épouse;.avec des incidences sur l'entreprise de négoce de vin que Georges dirigeait en association avec Ernest. Sans doute vrai.
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 Retour en arrière. Nous sommes au début de la guerre. Georges Ibos, mobilisé le 2 comme tout le monde, arrive au 18° Escadron du Train le 4 août 1914 avant d'être détaché le 13 à  l'Ambulance 15/18 -- unité non combattante mais, naturellement, présente sur le front.

Georges a fait son service, entre 1906 et 1908, comme cavalier au 29° Dragons.

Georges Ibos au 29° Régiment de Dragons 1906-1908

En outre, il sait conduire un véhicule à moteur (la profession indiquée à son incorporation est celle de "chauffeur-auto").
Fiche matricule - détail - "Profession d' chauff. auto"
Il est donc tout naturel qu'il soit affecté au transport des blessés, comme conducteur hippomobile et/ou automobile. Plus tard, il rejoindra plusieurs régiments d'artillerie, pour tracter des canons, cette fois.

Quelques jours avant la mobilisation, la famillle -- Georges, son épouse Henriette et sa fille Adrienne (3 ans) -- a déménagé de Blaye au 140 chemin du petit bois à Talence,.actuelle rue Jean-Jaurès, dans une des propriétés laissées par son père Eugène. Selon toute vraisemblance, cette maison, avec son chai, est également le siège social de son négoce de vin.
140, chemin du petit bois (rue Jean-Jaurès) vers 1900(?).
Façade sur rue. La façade opposée donne sur la voie ferrée Bordeaux-Dax
Le 140 rue Jean-Jaurès aujourd'hui.


Vue de 3/4 sous Sketchup8


Peut-être craint-il les indiscrétions ? En effet, son frère Ernest et Jeanne, l'épouse de ce dernier, partagent le 140 avec Henriette. Les deux frères sont associés dans le négoce que leur a légué leur père Eugène.

Georges, isolé de sa famille sur le front de la Meuse, est dans l'ignorance de ce qui se passe à Talence, ne pouvant se fier qu'aux rapports contradictoires qui lui sont faits par les différents membres de sa famille, Henriette, Ernest, sa grand-tante Marthe Laborde, et par des amis plus ou moins bien intentionnés, tant sur le plan privé que celui des affaires.

Lettre de Ernest Ibos à son frère Georges, date illisible, vers le 20 mars 1915

Cher frère, 
Qu'est-ce qui se passe ? ......Cela devient de plus en plus inexplicable. Après bien des démarches, nous avons réussi à avoir ton adresse que ta femme n'a jamais voulu nous donner ! Pourquoi ? ......Ce n'est que trop visible et trop compréhensible ! Elle craint avec raison que nous te mettions au courant de ce qui se passe. C'est ainsi que l'on agit lorsque l'on n'a pas la conscience très propre ! ni tranquille ! .......Quoi qu'il en soit ma première lettre, qui m'est revenue démontre bien que nous sommes tenus dans la plus complète ignorance de ton adresse et il a fallu aller la chercher au Béquet en désespoir de cause. Comment comprends-tu cela ? 
Comment comprends-tu que le jeune homme brigadier aux ambulances avec toi et qui a été évacué à Talence depuis quelques jours, que nous avions pressenti pour avoir cette adresse n'a pas voulu la donner, prétendant qu'il ne le pouvait !! Alors que nous savons que ta femme a été vu lui parlant et lui avait défendu de nous la faire connaître(?). Ceci est toute une révélation !! Le 1er mars, je t'ai adressé une seconde lettre qui ne m'est pas encore revenue. L'aurais-tu reçue ? Quoi qu'il en soit, je t'envoie la présente dès que j'ai ton adresse exacte donnée par le Béquet. 
Il se passe des choses dans la maison que je ne veux pas te décrire puisque bien que (?) tu croirais à l'exagération ! Mais que tu peux savoir par une demande ou enquête comme tu voudras près des voisins sérieux, tels que les Carot1 (en face  la maison) rue René Goblet ou encore les Roger, à défaut des Decamp (?) ou Brienne(?) que tu pourrais croire opposés ou ennemis de ta femme.  Ils te diront mieux que moi comment ta maison est respectée par ces dames ! Les réceptions masculines qui y sont faites à toute heure de jour et de nuit ! Les exhibitions au balcon en poses et toilettes.... !..... Je n'en dis pas plus long. A toi de te rendre compte et de prendre les sanctions que mérite cette belle vie !....Il y en a pour qui la guerre ne durera jamais assez ? ..........
Comme une fois déjà tu n'as pas voulu croire des vérités que je t'ai décrites sur ta femme, je ne vois pas l'utilité de te mettre au courant de ce qui s'est produit depuis -  Tu n'y croirais pas davantage me croyant intéressé ! ......D'autres qui ne sont pas intéressés te documenteront utilement Je remets à plus tard la suite des résultats de ton silence à notre égard 
1. les Carot, rue René Goblet -  Mauvais choix : 6 ans plus tard, après la guerre, William Carot rédige un certificat visant à disculper Henriette des accusations d'Ernest.  
Sur le bord gauche :
résultats et conséquences que tu aurais pu éviter en nous demandant explications. A ton retour, tu le regretteras peut-être et amèrement. Espérons qu'il ne sera pas trop tard. Je remets donc à plus tard l'exposé de ce qui s'est passé hier et aujourd'hui. A te lire clairement, je l'espère [deux mots illisibles] muet. 



En haut, en diagonale.
Comme je te le dis sur la lettre ci-jointe, écris-moi au bureau, car nous ne recevons plus rien du facteur de Talence, ta femme allant à la rencontre du facteur matin et soir. Je joins une enveloppe à mon adresse pour t'éviter de la faire. 


...à suivre...

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