jeudi 29 août 2013

Il y a cent ans, le dossier Henriette.

Episode II - Georges, arbitre malgré lui.


Cet article fait suite au précédent.
Pour lire le texte intégral des correspondances, visitez cette page.

Quelques jours plus tard, le 26 mars, c'est un télégramme qu'Ernest envoie à son frère, le mettant à nouveau en garde contre Henriette mais, cette fois, de manière plus pressante.


Lettres de Georges Ibos à son frère Ernest, le 28 mars 1915 (dimanche des Rameaux). Il y aborde les désaccords commerciaux et les questions d'ordre privé.
Extraits ==>
[...] Toi et ma femme vous plaignez l'un de l'autre et, sur vos lettres, vous avez raison tous les deux, au moins d'après vous. 
D'après les plaintes de ma femme, qui ont commencé depuis longtemps déjà, je me suis vu obligé de lui conseiller de prendre des mesures, entre autres, celle de faire fermer le commerce pour la fin de ce trimestre. Et quand j'ai appris que le chai1 lui avait été fermé, je lui ai dit de faire changer la serrure. 
Les quelques raisons pour lesquelles je fais fermer le commerce sont les vexations, les injures vis à vis d'elle, la mise à la porte du bureau et d'en haut, soi-disant étant chez vous2. La défense d'ouvrir les lettres commerciales, la disparition des livres, la fermeture du chai1 et l'enlèvement de la lumière électrique [...]
Pour les insinuations et même accusations, devrai-je dire au sujet de la conduite de ma femme, je t'en demanderai les preuves et, à mon retour, je saurai ce que j'ai à faire si c'est prouvé. [...]
1 : Le chai qui se trouvait au rez-de-chaussée, côté voie ferrée, où Georges et Ernest entreposaient leur stock de vin.
2 : ...en haut, soi-disant étant chez vous : le ménage Ernest/Jeanne occupait donc l'étage au-dessus d'Henriette.
Au vu des termes employés, -- soit disant étant chez vous -- Georges apparaît comme le propriétaire de l'ensemble de la maison.


140 rue Jean-Jaurès, ex-chemin du petit bois.




Le 140, chemin du petit bois - vue arrière, côté voie ferrée



Adrienne et Martine devant le chai en 1949

Martine (et moi ?) devant le chai  - 1953/1954
Le lendemain  29 mars 1915, pour faire bonne mesure, Georges adresse ses recommandations  à Henriette. On constate que, malgré ses dénégations, il n'est pas resté totalement sourd aux avertissements d'Ernest. 
Ce que je te recommande, c'est de ne pas ameuter les voisins et les passants et de ne faire aucun scandale.
Ne vends pas le matériel ni les marchandises qui sont dans le chai. Je reçois une dépêche m'avertissant de ce fait. [le télégramme d'Ernest ?Je m'y oppose formellement. [...] Ne fais rien sans me consulter.
Je t'avais recommandé de ne pas donner prise aux mauvaises langues sur ta conduite et j'ai bien peur que tu ne m'aies pas écouté. Si c'est ainsi, tu as un grand tort. En attendant de tes nouvelles, je vous embrasse à toutes deux.  


Le30 mars 1915, Marcel Crevet, ami de Georges et témoin à son mariage lui adresse une lettre dans laquelle il se plaint de l'hostilité d'Henriette à son égard.
[....] depuis certain jour du mois d'octobre [1914 donc] où Henriette, votre dame, a fait à Berthe1 la gracieuseté de la mettre à la porte ou en nous intimant l'avis, ce qui est tout comme d'avoir à rester chez nous ! [...]
...quand, quelques jour auparavant, réuni avec la famille de votre frère dans votre bureau, elle [Henriette] trouva naturel de nous enlever sans la moindre explication l'électricité à la tombée de la nuit, nous laissant dans l'obscurité ainsi que la stupéfaction la plus complète de ce sans-gêne. [...] Je ne reconnais plus Henriette, votre dame. Elle n'a jamais été gracieuse mais, depuis votre départ, elle est méconnaissable. Ce n'est pourtant pas le chagrin de votre éloignement puisque les rares instants où je me suis trouvé chez vous ou aux alentours, je n'ai entendu que chants et musique2 ! ce qui n'est guère le propre d'une profonde tristesse.
Votre frère m'a conté les misères et méchancetés qu'Henriette votre dame lui crée....
1. Il s'agit probablement de Berthe Dupon. Elle aussi est témoin au mariage de Georges et Henriette. Elle habite à la même adresse que les 3 sœurs Chazal (207 boulevard de Talence) mais je ne sais pas si c'est au titre de propriétaire, de copropriétaire ou de colocataire. 
Tout ici porte à croire qu'elle est devenue l'épouse de Marcel Crevet. 
2. Cela ne s'est produit qu'une fois, en réalité. Il s'agit du dimanche 28 mars, dimanche des Rameaux, dont il est question dans les lettres de plusieurs correspondants. On voit ici comment enfle la rumeur.



Le fameux épisode "chants et musique" sera repris à satiété et restera pratiquement l'unique élément du "dossier Henriette" qui conduira Georges à la soupçonner, voire à être convaincu de son infidélité.


Le 4 avril, c'est Marthe Laborde qui écrit son petit-neveu pour lui donner plusieurs informations inquiétantes selon elle :
- Henriette envisagerait de vendre le fonds de commerce qui se trouve dans le chai (voir le télégramme d'Ernest)
- Au 140, les 3 sœurs Chazal, Elise, Henriette et Marguerite, sont présentes en permanence, occupant le terrain et faisant barrage à Jeanne, la femme d'Ernest.
- La plus jeune, Marguerite, est "la maîtresse", selon Marthe. Elle empêche même Henriette de s'exprimer.

Le texte intégral de cette lettre est à lire ici.

Marthe écrira à nouveau le 13 avril pour ajouter des détails oubliés(?) et qui incriminent plus sérieusement Henriette. Texte intégral de cette lettre ici. 

Marthe conclue néanmoins sa lettre du 4 sur une note positive ==>
J'ai oublié de te dire que ta petite fille est bien mignonne. Elle sait que son père est à la guerre. Je lui  ai dit de faire tous les jours une prière pour Papa. 
Séquence émotion. La petite fille en question est ma mère, Adrienne, qui n'avait pas encore quatre ans à l'époque et qui était, indéniablement, bien mignonne. Une des amies et "soutiens" d'Henriette évoquera à nouveau, dans une lettre à Georges, cette fameuse prière enseignée par Marthe.

Il s'agit d'une certaine H. Hucat qui écrit à Georges pour plaider la cause d'Henriette. Texte intégral ici.

Extrait
J'ai dîné un soir chez vous. Elle [Henriette]  pleurait, ne pouvait manger. Votre petit amour alla l'embrasser et lui dit "ne pleure pas toujours, maman, il va revenir, papa". Et avant de se coucher, elle fit sa petite prière de tous les soirs qu'elle a dû répéter bien des fois puisqu'elle la sait par cœur  Et en la mettant au lit, elle dit : "Je vais faire pipi dans la place à papa puisque je le remplace". Cette réflexion d'enfant nous amusa beaucoup. 
Henriette (à droite) et Adrienne, dite "Nenette".
NB: Cette photo semble dater d'avant la guerre
Les courriers se suivent. Georges écrit beaucoup, presque tous les jours. Son humeur est changeante, comme en témoigne les en-tête : bien chère Henriette quand tout va à peu près bien, madame et le vouvoiement quand tout va mal. Au fil de ces échanges, il apparaît comme un être influençable, qui ne sait pas trop "à quel saint se vouer". Il faut dire que les parents, voisins et amis s'impliquent. Certains, comme l'auteure de la lettre ci-dessus, pour soutenir Henriette et la disculper, d'autres pour l'accabler.

Contrairement aux bruits qui courent, Henriette est réellement désespérée; à tel point qu'elle prendra le train jusqu'à Paris pour essayer d'atteindre Verdun, où l'unité de Georges (ambulance 15/18) est stationnée. Pour plus de détails sur ces correspondances et sur ce voyage, pour lire le texte intégral de certaines lettres, je vous invite à consulter cette page.

Heureusement, la réconciliation viendra.

...à suivre...





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